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These de Dr Bayang Houli Nicolas

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POUR UN PROGRAMME NATIONAL DE PRODUCTION DE LAIT FRAIS AU CAMEROUN

Maintenant que le Gouvernement vient très officiellement d’ériger l’Elevage au rang de secteur prioritaire de notre Economie, au même titre que l’Agriculture, la Pêche et l’Energie, il me semble opportun de pousser quelque peu la réflexion ; afin de montrer le rôle essentiel du secteur des productions animales et de la production laitière en particulier dans la sécurité alimentaire des populations et le développement rural qui se trouve être l’un des piliers du Développement durable.Dans cet article, je vais parler de l’Elevage laitier dont il faut souligner d’entrée de jeu le rôle structurant sur le secteur Elevage en général.

Malgré l’important cheptel bovin que compte notre pays (plus de 6 millions de têtes), et des conditions naturelles favorables dans certaines de nos régions, la production laitière locale reste marginale, à peine suffisante pour les veaux et l’autoconsommation des éleveurs. L’essentiel de la consommation camerounaise en lait et produits laitiers commercialisés est donc couverte par les importations.

L’histoire de la production laitière est pourtant ancienne au Cameroun. Dès 1942, on signale l’existence d’une ferme laitière tenue par des colons anglais à Bambui près de Bamenda. La première expérience de production laitière à vocation marchande date également de l’époque coloniale avec la Beurrerie de Meiganga dans l’Adamaoua de 1947 à 1954. Cette Beurrerie collecte 2500 à 3000 litres de lait par jour. Cette production étant tirée des vaches locales (zébus gudali) dont le rendement ne dépassait guère 2 litres de lait par vache et par jour. La Beurrerie de Meiganga ferma parce que non rentable ! Etait-ce une raison suffisante, compte tenu des conditions écologiques favorables et des possibilités d’amélioration du matériel animal disponible ?

Avant d’esquisser les bases d’une politique de production laitière nationale à mettre en place, faisons un rapide état de lieux. Disons d’emblée que les statistiques disponibles sont disparates, peu fiables, difficilement harmonisables. Le chiffre du cheptel camerounais varie selon les sources : en 2004, la FAO l’estime à 5.950.000 têtes dont 1.190.000 vaches laitières. Les Délégations Régionales du Ministère de l’Elevage, des Pêches et des Industries Animales (MINEPIA) pour leur part décomptait 2.362.465 têtes de bovins très précisément pour l’exercice 2003-2004. Selon le Bulletin de conjoncture de la BEAC en 2001-2002, le cheptel était de 3.469.000 têtes. Signalons pour mémoire que, d’après la Société d’Etudes pour le Développement Economique et Social (SEDES) agissant pour le compte du Ministère français de la Coopération, le cheptel bovin camerounais était en 1975, de 3.000.000 de têtes (dont 2.450.000 dans la partie septentrionale du pays et 550.000 dans les zones montagneuses de l’ouest). En 1977, une enquête de la DANISH TURNKEY (Société danoise) commandée par le MINEL (Ministère de l’Elevage) estimait le seul cheptel laitier camerounais à 3.400.000 têtes !

Avec de telles statistiques, il est difficile de faire un travail permettant une évaluation crédible de la production. Pour la FAO, la production locale est de 130.000 T de lait en 2004, alors que le SEDES l’estimait à 153.000 T en 1970 ! On ne s’y retrouve vraiment pas. Le Schéma Directeur pour le Développement des filières de l’Elevage au Cameroun en cours d’élaboration devrait prendre en compte ce « casse-tête statistique ». Les chiffres cités dans cet article devraient alors être considérés comme une simple hypothèse de travail. La récente étude de Monsieur LETENEUR commandée par le MINEPIA en 2008, estime le cheptel laitier à 2.319.000 têtes (47% du cheptel bovin total) avec 1.115.900 vaches laitières qui permettraient de produire 174.000 tonnes de lait frais.

Cette production ne couvrirait qu’environ 80% des besoins nationaux (216.000 T), en admettant que la consommation actuelle par habitant et par an est de 14,5 Kg de lait. Il faut noter que le minimum de consommation selon la FAO est de 22 Kg/hab/an. Le déficit actuel de production est donc de 42.000 T/an. En tenant compte de l’évolution de la population, du taux d’urbanisation et du revenu des ménages, ce déficit culminerait à 510.000 tonnes de lait en 2015. Et si ce déficit cumulé devait être supporté par les seules importations, le Cameroun devrait, à prix constants, dépenser près de 1.400 milliards de Frs CFA ; sachant qu’en 2007 11.000 T de lait et dérivés ont été importés pour un coût de 30 milliards de Frs CFA. Pourquoi ne pas rêver qu’une partie au moins des 1400 milliards soit investie dans un ambitieux programme de production laitière ?

Le Gouvernement camerounais s’était penché très tôt sur le sujet en mettant en chantier dans les années 1970 des études parmi lesquelles :
– Etude des possibilités de production laitière dans la région de Wum, 1973.
– Développement de la production du lait frais au Cameroun. Ministère de l’Elevage et des Industries Animales, 1976
– Développement du secteur laitier camerounais, enquête préliminaire de DANISH TURNKEY LTD, 1977.

La thèse de doctorat vétérinaire que j’ai soutenue en 1978 devant la Faculté de Médecine de Dakar (Sénégal), s’était basée en partie sur les données de ces travaux. J’avais traité des aspects économiques, sociologiques, nutritionnels et zootechniques, liés à la production de lait frais au Cameroun. En 1985, la société canadienne PELLEMON sera chargée d’une étude de faisabilité qui débouchera sur un projet de programme intégré de production de lait frais, de la collecte à la transformation et à la distribution en passant par l’amélioration génétique des races locales. L’étude de PELLEMON s’était largement inspirée de ma thèse, et j’avais personnellement contribué à ce travail, lorsque j’étais en service à la Direction de l’Elevage du MINEPIA. La société PELLEMON et le Gouvernement camerounais mettront plus tard en place(1988) le Projet laitier Pilote de Ngaoundéré. Cette structure organisée autour d’une laiterie d’une capacité de transformation de 10.000 litres par jour, n’aura pas la même envergure que le vaste programme envisagé au départ. Néanmoins, ce Projet aura servi à donner une certaine impulsion à l’activité de production laitière dans la zone de Ngaoundéré. Plusieurs groupements d’éleveurs et producteurs de lait se sont formés, donnant naissance à un marché de lait à Ngaoundéré. Même après la disparition du Projet, des GIC et des Coopératives verront le jour. La mort du Projet Pilote sera précipitée par une privatisation mal venue, de mon point de vue.

L’expérience gouvernementale de production de lait frais s’étant cantonnée dans la région de Ngaoundéré, l’autre région favorable à la spéculation laitière, à savoir la zone montagneuse de l’Ouest, voyait l’éclosion de multiples producteurs individuels et collectifs. L’exemple le plus en vue étant la SOTRAMILK(Milk Transformation Company) de Bamenda. Avec sa laiterie d’une capacité de traitement de 10.000 l de lait/jour. Autres exemples : la Tadu Dairy Cooperation Society (TDCS) de Kumbo ; la Heifer Project International (HPI), une ONG américaine qui intervient principalement dans l’amélioration génétique du cheptel laitier. La TDCS et le HPI pratiquent l’insémination artificielle avec des fortunes diverses.

« L’effet positif de cet apport génétique sera vite dilué, car étant resté ponctuel et n’ayant pas été accompagné d’un programme de sélection basé sur des critères et d’un schéma génétique précis » estime Mme BOOTO A NGON, Responsable du SDDP (Smaller Dairy Development Project) ; le SDDP fait partie des services centraux du MINEPIA. Mme BOOTO soutient par ailleurs et à juste titre que, outre la défaillance de l’amélioration génétique, de nombreux obstacles entravent la filière laitière camerounaise dans tous ses segments : difficultés d’approvisionnement en vaches à potentiel laitier élevé, alimentation déficiente, problèmes de collecte et de transport du lait, problèmes de transformation et de commercialisation, producteurs peu formés faute d’un encadrement adéquat. Autant dire que le secteur laitier camerounais est aujourd’hui en panne et qu’il faut le remettre sur les rails.

Il faut donc surmonter tous les obstacles énumérés ci-dessus. Ce qui signifie qu’il ne faudrait plus recourir aux demi-mesures du passé qui ont entrainé la faillite du Projet Pilote et même le quasi-échec de SOTRAMILK et autres petites structures privées. Le projet actuellement à l’étude dans le cadre du SDDP et dont le financement se ferait sur fonds PPTE, risque d’aboutir aux mêmes résultats obtenus jusque là. La production de lait frais dans notre pays resterait marginale et pour longtemps encore !

La stratégie envisagée par le nouveau projet, basée sur « la concentration, la responsabilisation, la participation des communautés villageoises, des producteurs, des services d’encadrement publics et des partenaires au développement » me semble cohérente. Mais, elle se heurtera probablement, comme le Projet Pilote, à un problème d’envergure. Car, face à de multiples petites structures privées de production et de transformation, qu’il faudrait d’ailleurs promouvoir, il ne semble pas prévu la création d’un organisme public national chargé d’assurer l’intégration et la cohésion de la filière. A la place, il serait plutôt prévu un vague cadre de concertation sous la forme d’une organisation interprofessionnelle… Le projet à l’étude ne serait pas à la hauteur de l’ambitieux programme nécessaire, pour que notre pays rattrape le gap en besoin de consommation laitière relevée plus haut.

Pour comprendre l’importance d’un ambitieux programme laitier, il faut considérer l’élevage laitier tout d’abord comme un puissant moteur pour le développement de tout l’élevage bovin. L’amélioration du rendement laitier permet une meilleure alimentation des veaux et en conséquence, la baisse de la mortalité et une bonne croissance des jeunes bovins. Les éleveurs eux-mêmes peuvent alors s’assurer des revenus monétaires non seulement avec la vente du lait, mais également avec la vente des veaux mâles destinés à l’embouche. L’élevage laitier demandant un minimum d’équipements techniques et un suivi permanent de la part de l’éleveur, il est susceptible d’influencer favorablement l’ensemble de l’élevage bovin dans le sens de sa modernisation.

Notre pays peut se doter d’un projet laitier ambitieux. Les conditions écologiques favorables qui existent dans certaines zones du territoire national n’ont rien à envier aux régions laitières des pays comme le Kenya ou l’Ouganda par exemple. Le programme laitier à mettre en place doit avoir pour objectif stratégique de combler le déficit du pays dans un délai de 15 ans (2025). Cela est possible ; de récentes études estiment qu’avec des investissements de l’ordre de 270 milliards de Frs CFA sur 6 ans (2010-2015), investissements constitués en grande partie du bétail existant, il serait possible de lancer 44.000 petites unités de production, pouvant générer près de 45.000 tonnes de lait/an. Cette production permettrait de couvrir les besoins nationaux, si le déficit national devait stagner à 42.000 t/an. Mais dans l’hypothèse normale d’un gap de 510.000 T à l’horizon 2015, il faudrait porter l’effort d’investissement à 500 milliards de Frs CFA au moins. Ce qui reste encore modeste par rapport aux 1400 milliards que les importations devraient engloutir.

Dans la perspective de la mise en œuvre d’un tel investissement, je me permettrais de proposer avec quelques adaptations, le schéma que j’avais développé dans ma thèse il y a plus de 30 ans. La colonne vertébrale de ce schéma est un organisme national devant être doté de moyens nécessaires à l’amélioration génétique des zébus locaux et leur diffusion dans les unités de production. A la place du SDDP qui est peut-être appelé à se transformer en Programme National d’Appui à la Filière Laitière (PNAFL), je proposerais la création d’un CDDB (Cameroun Dairy Development Board), Il ne s’agit pas d’un simple changement de nom. Le CDDB aurait une autonomie administrative et financière lui permettant d’encadrer efficacement l’ensemble du Programme sans pour autant s’occuper directement de la production et de la transformation du lait. Son activité reposera sur deux principales structures : le Service National d’Insémination Artificielle (SNIA) et le Centre National d’Amélioration des Zébus Laitiers (CNAZL).

Le Service National d’Insémination Artificielle aura pour rôle la promotion et la coordination de l’insémination artificielle des bovins dans l’ensemble du territoire camerounais. Il devra assurer la production et l’importation du sperme des géniteurs locaux et exotiques.

Le SNIA devra être doté d’un laboratoire de spermiologie dont le siège pourra être fixé dans la zone de Bamenda, du fait de son climat plutôt clément toute l’année.

Le Centre National d’Amélioration des zébus laitiers aura pour rôle la promotion et la vulgarisation des zébus laitiers. Ses objectifs seront :
• L’élevage des sujets de race locale sélectionnés, devant servir aux croisements avec des races importées à haut potentiel laitier.
• La création d’un zébu à double fin (lait – viande).
• La mise au point d’un système d’exploitation convenant à la production laitière semi-intensive.

Etant donné que les zébus laitiers produits par le Centre seront appelés à connaître des conditions d’exploitation relativement difficiles, le Centre devrait être plutôt basé dans l’Adamaoua, région des grands espaces favorables à l’élevage semi-intensif. Le Centre disposera d’antennes dans différentes localités de la zone d’élevage laitier afin de permettre :
• La sélection de bons géniteurs locaux.
• La diffusion rapide des animaux améliorés
• La formation et l’assistance aux éleveurs ayant acquis des animaux du Centre.

Outre la gestion du SNIA et du CNAZL, le CDDB devra s’occuper de l’organisation générale du secteur laitier national. Il convient d’insister sur le fait que la production et la transformation du lait seront laissées aux acteurs privés individuels ou communautaires. Il convient également d’envisager pour l’encourager, la possibilité pour des investisseurs internationaux d’intervenir dans le secteur laitier national tant au niveau de la production que de la transformation. Ces interventions devront se faire dans un cadre législatif à définir, notamment en ce qui concerne la cession des terres agricoles ou pastorales. Bien pensées et bien appliquées, ces interventions pourront avoir des effets d’entrainement bénéfiques pour les acteurs locaux.

Dans son travail d’organisation du secteur, le CDDB couvrira les domaines d’activités relevant de la responsabilité des pouvoirs publics :
• La définition des zones d’implantation des exploitations laitières que l’on peut appeler Bassins ou Complexes laitiers. Chaque Bassin ou chaque Complexe s’organise autour de son unité ou ses unités de transformation (laiterie). Il sera desservi par un circuit de ramassage du lait doté des équipements appropriés pour le stockage et la réfrigération.
• L’étude d’un circuit de distribution permettant l’écoulement de la production jusque dans les principaux centres de consommation (Douala, Yaoundé, Bafoussam, Garoua …)
• L’étude des prix d’achat du lait aux producteurs, pour qu’ils soient incitatifs et rémunérateurs.
• L’étude et la vulgarisation des méthodes de production efficiente et adaptée.
• La promotion des regroupements communautaires (GIC, Coopératives,…).
• Le contrôle technologique des Etablissements de production et de transformation. Ce contrôle pourra être étendu aux laiteries traitant le lait en poudre importé. Car il ya nécessité à faire respecter les normes de qualité physico-chimique et hygiénique de nombreux « produits laitiers » fabriqués dans des dizaines d’ateliers de fortune rencontrés dans nos ville, ateliers qui n’ont rien à voir avec de vrais établissements laitiers.
• La formation des éleveurs et producteurs de lait dans les domaines suivants : alimentation des vaches, culture fourragère, fabrication des aliments complémentaires, hygiène de la traite, hygiène du lait…
• La formation des agents subalternes spécialisés en production et transformation du lait.
• La tenue des statistiques fiables du cheptel, du lait et ses dérives produits localement ; mais aussi du lait et produits laitiers importés.

Il faudra une volonté politique affirmée pour mettre en œuvre ce Programme laitier national. Dans tous les cas, le succès du Programme exposé ci-dessus ne saurait s’imaginer sans infrastructures de base dans les zones d’intervention (routes, électricité, eau, téléphone), sans une politique de crédit favorable aux acteurs de la filière et sans une politique dynamique de formation des cadres supérieurs (Techniciens de laiterie, Ingénieurs laitiers, Hygiénistes, Généticiens, Nutritionniste, Zootechniciens…). Ce qui signifie une fois de plus que le rôle de l’Etat reste irremplaçable lorsqu’il s’agit de créer les conditions de base du développement. Ce Programme devra donc être étroitement encadré et piloté par l’Etat à travers le CDDB, si on ne veut pas qu’il tombe dans les travers de certaines privatisations… L’autre clé du succès pour ce Programme est représentée par l’indispensable synergie entre l’élevage et l’agriculture (cultures végétales). Les secteurs agricole et pastoral doivent vraiment travailler ensemble, même s’ils appartiennent à des administrations différentes. Il n’y a pas de productions animales efficientes sans productions végétales, souvent primordiales pour l’alimentation du bétail. Les animaux d’élevage et certains de leurs sous-produits peuvent être de leur côté d’une grande utilité pour les cultures végétales…

Je suis persuadé que le développement du secteur laitier camerounais tel que je le présente ici, pourra à terme, permettre au Cameroun de faire des économies substantielles de devises par la réduction de la lourde facture des importations du lait et produits laitiers ; tout en garantissant aux populations une alimentation riche en protéines de qualité. Cette petite réflexion sur la production de lait frais au Cameroun n’a aucune prétention « scientifique ». Elle se veut plutôt une modeste contribution pour faire réellement de l’Elevage, un secteur prioritaire de notre Economie.

MAKEK Maurice
Docteur Vétérinaire
DESS – Technologie laitière.
Tel : 75.01.98.62
E- mail : mau.makek@yahoo.fr

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